Par Igor Le Pivert, Associé Cost House France
Introduction
L'industrie spatiale est en pleine mutation avec l'essor du financement privé favorisé par le succès disruptif de SpaceX. Cette évolution met sous pression les différents acteurs de l'industrie spatiale européenne et leur financement, et soulève de multiples questions, telles que :
Comment faire face à la concurrence des startups innovantes et entre partenaires européens ?
Quel est l'impact de la diminution du financement des programmes de défense ?
Le modèle de distribution géographique est-il encore compatible avec l'efficacité et l'excellence industrielles ?
L'évolutivité et le recyclage doivent-ils dicter les conceptions futures ?
Dans cet environnement, la compréhension de la structure des coûts du service complet fourni aux utilisateurs finaux et, plus particulièrement, la compréhension et la gestion des coûts fixes tout au long de cette chaîne de valeur sont essentielles pour garantir l'avenir.
Comprendre les structures de coûts
Le seul mot "coût" recouvre une variété complexe de natures et de comportements. S'engager dans la voie de l'évaluation et de l'optimisation des coûts sans comprendre et documenter cette variété, c'est comme s'engager sur une route de nuit, sans lumière ni signalisation. Cette section abordera deux sujets : les normes de ventilation des coûts et la simulation.
Référentiel de répartition des coûts
Il est important de définir un référentiel plus représentatif que les seuls taux horaires pour décrire la structure des coûts des organisations industrielles types et pour comprendre leur comportement. Quelques exemples du quotidien des industriels traduisent facilement les limites de modèles basés sur les seuls taux horaires :
Périmètre d’analyse
Les taux horaires standard mélangent généralement diverses natures de coûts (fixes/variables, partagés/spécifiques, accessibles/non accessibles) avec différents comportements en un seul objet de coût monolithique. Combien de fois entend-on dire que gagner 100h d’ingénierie au taux horaire de 120€/h permet d’économiser 12 k€ ? Nous savons pourtant pertinemment que ce ne sera pas le cas en réalité
Charge et capacité de production
Par définition et par construction, les taux horaires standard sont calculés pour un niveau d'activité donné, ce qui ne permet pas de voir l'impact de la sur ou sous-utilisation des ressources et peut conduire à des décisions préjudiciables.
Taille des lots et temps de préparation
La préparation et la production n'utilisent pas nécessairement les mêmes ressources. Utiliser le même taux horaire standard pour les deux peut être trompeur lors de la définition de la taille des lots.
Organisation
Les salaires des 2ème et 3ème équipes sont plus élevés mais le coût d'amortissement ne dépend pas de l'heure de la journée.
Consommables
Divers processus de fabrication peuvent utiliser divers niveaux de consommables (énergie, pièces de rechange, ...). Les taux horaires standard et globaux ne reflètent généralement pas ces différences.
Dans cette optique, la mise en place d’un modèle de coût est le fondement d’un pilotage économique pertinent et pragmatique ; un tel modèle doit :
- Couvrir les différentes couches d'activités et de coûts d’une organisation : fabrication directe, fabrication indirecte, fonctions support amont (R&D, conception, conception de processus, chaîne d'approvisionnement, achats et approvisionnement, ...), fonctions support aval (marketing, ventes, transport, ...), soutien de l'organisation (cadres, RH, finances, juridique, ...).
- Distinguer les coûts récurrents et coûts non récurrents
- Caractériser au cas par cas et selon chaque environnement les coûts fixes, variables, semi-variables.
Simulation des coûts
Les décisions stratégiques (fabriquer en interne ou sous-traiter, définir la roadmap technologique, arbitrer le contenu du catalogue de produits ou services, dimensionner la chaîne d'approvisionnement, se positionner par rapport au « recyclage » des lanceurs, ...) et les incertitudes du marché (volumes, cycle de vie opérationnel, ...) ont un impact majeur sur le coût final du service. Malheureusement, ces impacts sont difficiles à évaluer intuitivement ou même avec quelques formules sur une feuille Excel, en raison du comportement non linéaire des coûts (de l’importance du référentiel de coût ci-dessus, qui distingue les différentes natures de coût) et des effets cumulatifs des hypothèses sur les facteurs de coût.
Cela nous a conduit à développer des modèles de simulation génériques et une solution logicielle pour prendre en compte ces comportements de coûts et diverses hypothèses d'entrée. Cela permet d'estimer les changements dans les structures de coûts et le coût total du produit.
Partager les coûts pour le bien commun
Les organisations commerciales et industrielles ont tendance à penser que le secret des coûts est essentiel pour garantir leur marge bénéficiaire et leur survie financière. Aussi contre-intuitif que cela puisse paraître, l'ignorance des facteurs de coûts réels des partenaires rend beaucoup plus difficile et périlleux de définir la bonne proposition de valeur et de prendre les bonnes décisions. Sur un marché mature et concurrentiel où le coût total du service prévaut, le fait de garder secrets les structures de coûts et les inducteurs de coûts finira par favoriser les négociations aveugles sur les prix (qui mettent en péril la rentabilité de toutes les parties prenantes) et par accroître la défiance entre les partenaires. Au contraire, l'utilisation de référentiels communs (comme ceux évoqués dans la section précédente) pour partager les structures de coûts et expliquer les facteurs de coûts en toute bonne foi (avec les bonnes clauses contractuelles) favorise la coopération pour trouver des solutions efficaces, et au bon prix (donc au juste coût) pour les besoins de l'utilisateur final.
Deux exemples concrets permettent de se rendre compte du bienfondé d’une telle démarche :
Exemple 1 – De l’importance de comprendre les coûts complets - Produit de distribution électrique
L'approvisionnement dans un pays à faible coût a permis, il y a une dizaine d’années, de réduire les coûts directs du produit, au prix de difficultés logistiques importantes et de limitations dans la capacité d’adaptation rapide au besoin qui prévaut aujourd’hui. Une démarche commune entre le donneur d’ordre et un fournisseur partenaire local, basée sur le partage des coûts réels de production (en contrepartie d’un engagement de respect d’un niveau de marge viable) a permis de comprendre les inducteurs de coût, d’y adapter la conception et de modifier les processus de développement pour optimiser les coûts récurrents et non récurrents. En considérant le coût complet du produit (c’est-à-dire en intégrant notamment les coûts de fonctions transverses telles que le bureau d’études, les achats, la qualité, la logistique, …) nous avons pu concevoir un produit dont le coût complet sur 3 ans de production est inférieur à celui du produit existant fabriqué en Asie.
Exemple 2 – De l’importance du partage des inducteurs de coût d’une filière – Sièges d’avion
La masse et le coût sont 2 contraintes fortes dans l'industrie de l'aviation commerciale. Ces 2 dimensions sont aussi intimement liées dans la conception, la réduction de masse à partir d’un certain point devenant un important inducteur de coût (matériaux nobles, opérations complémentaires d’usinage, …). Pour la conception d’un siège passager, le partage avec le fournisseur du câblage et le fournisseur du système de divertissement des modèles de coût complet respectifs a permis d’identifier les effets de seuil par rapport aux masses ; ce partage bienveillant d’informations technico-économiques a permis d’estimer des coûts marginaux du kilogramme pour chaque sous-ensemble et de répartir de façon optimale les coûts et les masses entre eux.
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